Depuis une vingtaine d’années s’est développée en Martinique une très importante dispersion de l’habitat. Le versant sud des Mornes Constant et Poirier a connu une évolution s’inscrivant dans ce mouvement général, ni plus, ni moins. Depuis une dizaine d’années une interrogation et une prise de conscience inquiète s’est éveillée chez de nombreux Universitaires, Géographes, Environnementalistes et Scientifiques locaux. L’île n’est pas extensible, le réchauffement climatique est plus qu’une simple menace (voir les terribles ouragans de 2017), les ressources en eau risquent de décroître avec la réduction du manteau forestier, il y a toutes raisons de penser que l’énergie deviendra rapidement plus rare et plus chère.
Alors peut-être faut-il penser que le temps de la dispersion a fait son temps et qu’est venu le temps du regroupement et du recentrement.
Par un hasard extraordinaire (sans doute lié à la structure de la propriété foncière du lieu), un superbe continuum forestier encore inentamé à ce jour descend des hauteurs du Morne Bois Michel jusqu’à Taupinière (et même jusqu’à l’Anse du Céron) en passant par La Joubardière, la Ravine Carole, le Ravin fond Moustique, le point coté 168 m, La Citadelle, la partie terminale de la Ravine Fonds Manoël, l’Anse du Céron et la Pointe Giraud.
On ne soulignera jamais assez l’importance des couloirs écologiques pour la bonne santé et la variété des écosystèmes (ils empruntent le plus souvent des ravines, vallons ou vallées irriguées par des cours d’eau et par conséquent ajoutent aux espèces de terre ferme des espèces riveraines ou vallicoles), pour la protection des torrents et rivières et de leurs berges, pour le maintien et la préservation de la mobilité des espèces animales et végétales et de leurs populations. La mobilité des populations des espèces végétales et animales est en effet une des conditions majeure de leur résilience en cas de destruction partielle ou majeure de leur aire, dans la mesure où elle ouvre des possibilités de reconquête et de recolonisation des milieux.
La protection écologique et foncière des couloirs écologiques est également une nécessité fondamentale dans un pays comme la Martinique, disposant d’un potentiel d’une extraordinaire variété pour la randonnée. Cette dernière est en effet susceptible de devenir, comme à la Réunion et peut-être davantage encore, un atout économique de tout premier plan. Ce potentiel malheureusement est actuellement totalement sous-exploité par manque de vision globale et systémique d’un réseau global bien pensé, avec de multiples connections et des possibilités de couchage en gîtes dortoirs. La sous-unité 6 : Coulée verte Bois Michel, Citadelle, Taupinière, Pointe Giraud est un magnifique exemple d’une totale et parfaite convergence possible entre les intérêts majeurs de la protection écologique de la biodiversité et des paysages d’une part, et ceux de la création d’un réseau de traces de randonnée de haut niveau de qualité, d’efficacité et d’attractivité touristique aussi bien pour les visiteurs de l’île que pour les randonneurs locaux.
Cette coulée verte s’amorce par la pente sud du Morne Bois Michel, incluse en totalité et jusqu’à la Ravine Carole, dans la ZNIEFF 021 du Morne des Pères. Il s’agit d’une forêt sempervirente saisonnière tropicale secondaire typique à « Poiriers », Bois savonnettes, Mapous, Gommiers rouges, Bois rouges, mais localement de belle venue et de bonne potentialité. Elle se prolonge par un secteur fortement accidenté caractérisé par deux ravines encaissées et étroites, (Ravine de la Rivière Carole et Ravin Fond Moustiques) dominées par des pentes très déclives, dont la dernière, la plus longue et la plus au sud, s’élève jusqu’au point coté 168.
Ce petit secteur est peu accessible et sauvage et le fond de la Ravine Carole offre localement des boisements riverains luxuriants et pittoresques grâce à de grands Courbarils : Hymenaea courbaril et Angelins : Andira inermis. Sur l’une des pentes abruptes dominant la rivière de belles formations saxicoles composées d’Anthuriums à grandes feuilles : Anthurium grandifolium, d’Anthuriums à feuilles lancéolées : Anthurium lanceolatum et d’innombrables Hamelias, Hamelia patens à grandes inflorescences scorpioïdes rouge orangé tapissent les rochers. Au-delà du point coté 168 m, la coulée verte descend par plans inclinés successifs jusque vers Citadelle, Bonnes terres et Taupinière. La partie à l’ouest du point 168, de Citadelle et de Bonne terre est la plus accidentée et de ce fait couverte d’une belle forêt sempervirente saisonnière tropicale secondaire à « Poiriers », Gommiers rouges, Bois savonnettes, Mapous, âgée d’au moins 70 ans (le secteur est déjà cartographié comme forêt dans les cartes I.G.N. des années 1970) assez haute et bien architecturée jusqu’en bas, ce qui dans cette partie de l’île est tout à fait exceptionnel. La partie est de la coulée verte, du côté de la Ravine Fonds Manoël est plus hétérogène et partiellement défrichée, mais il serait important de protéger la forêt riveraine qui entoure la rivière du même nom, si possible sur tout son cours et au moins à partir de la D7 et jusqu’à l’embouchure.
En effet, dans cette dernière partie de la rivière, les formations riveraines, bien que sensiblement abîmées par endroits, possèdent néanmoins de très beaux arbres, dont certains devenus rares comme l’Angelin : Andira inermis et extrêmement rares comme le Génipa : Genipa americana. Dans les petits arbres de sous-étage le Bauhinia multinervia : Petit flamboyant blanc, atteint plus de 15 cm de diamètre, taille exceptionnelle pour l’espèce et semble ne plus exister que dans ce secteur et dans une ravine du versant nord du Morne des Pères. Légèrement en aval de la route, était présent entre la décharge et la rivière un exemplaire d’un Coccoloba qui n’avait jamais été signalé pour la Martinique : Coccoloba Krugii. Grâce à de nouvelles photographies des racèmes fructifères (2 à 3 fois plus longs que les feuilles qui sont petites, largement ovales et presque suborbiculaires) une détermination incontestable de l’espèce a pu être effectuée. Le spécimen a peut-être été détruit, mais une toute petite population subsiste dans les hauteurs de la Ravine Carole au niveau de la Joubardière. Enfin, la Myrtacée arborée riveraine ou vallicole : Eugenia oerstedeana, sans nom vernaculaire tant elle est rare en Martinique et dans les autres îles, déploie localement, en aval, d’abondantes populations rivulaires.
Comme presque partout dans la Martinique ancienne, où, sur le versant sous le vent, des chemins rudimentaires reliaient le littoral sec aux zones de culture situées très en hauteur dans les mornes, une petite trace encore visible sur les cartes I.G.N. des années 1960-1970 (mais supprimée dans les éditions ultérieures), reliait la D7 au point coté 171 (devenu point coté 168). Cette trace traversait un espace qui était encore entièrement boisé à l’époque et l’est demeuré. En la rétablissant et en mettant en espace protégé cette coulée verte on gagnerait sur tous les plans à la fois : préservation de la biodiversité, protection des paysages, extension et connectivité très supérieures du réseau de traces de randonnée dans la presqu’île. Une trace relie actuellement Taupinière au Diamant par le littoral, et au-delà, à l’Anse Cafard, au Morne Larcher et même aux Anses d’Arlet. Mais il n’existe actuellement aucune liaison à la ligne des mornes de crête par trace en milieu naturel, ni au versant nord des Trois îlets. En créant une liaison sur une distance très courte entre le point 168 et la Ravine Carole on rejoint rapidement une suite de chemins menant au petit col entre le Morne Constant et le Morne des Pères. De là on accède aux traces de la ligne de crête, ainsi qu’à celle (actuellement encore fonctionnelle) qui redescend vers Mango Fil et les champs de canne des Trois-îlets en passant par Râteau. On ouvre aussi la possibilité d’un grand circuit en boucle de la presqu’île tout entière partagé presque à égalité entre une partie littorale et une partie de montagne.